Un mur épidémiologique et démographique
Constat 1
Le vieillissement de la population et la forte augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes nécessitent d’être anticipés sur le plan sanitaire et médico-social. L’espérance de vie en bonne santé en France, en-deçà de celle de nos voisins, alerte aussi sur l’accès aux soins de qualité pour tous et les problématiques de prévention.
UNE ESPÉRANCE DE VIE EN BONNE SANTÉ MOYENNE, EN-DEÇÀ DE CELLE DE NOS VOISINS, AVEC DE FORTES INÉGALITÉS
L’espérance de vie en bonne santé à la naissance en France se situe au niveau de la moyenne européenne (63,4%) mais reste bien en-deçà de nos voisins (entre 3 et 5 ans de moins qu’en Italie, en Espagne et en Irlande par exemple).
Ce chiffre cache des inégalités sociales très importantes. Comme le rappelle le Haut Conseil de la Santé Publique, l’écart d’espérance de vie à 35 ans entre cadre et ouvrier est de 7 ans chez les hommes et 3 ans chez les femmes .
Santé publique France indique que les 9000 décès par suicide par an font figurer la France parmi les plus hauts taux de suicide d’Europe. Le baromètre de Santé publique France 2017 montre un taux de prévalence des pensées suicidaires de 4,7% de la population générale au cours des 12 derniers mois.
Ces données sont notamment révélatrices d’un défaut de prévention dans notre système de santé.
UNE FORTE HAUSSE DES AFFECTIONS CHRONIQUES
La Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques du ministère de la Santé chiffre à 12 millions le nombre d’assurés ayant une affection de longue durée (ALD) et estime à 3,8% par an l’augmentation des dépenses relatives au dispositif des affections de longue durée entre 2011 et 2016.
La CNAM indique que les pathologies et traitements chroniques représentent environ 86 milliards d’euros de dépenses par an et concernent 36% de la population en 2019. Les maladies cardio-neurovasculaires concernent 5,1 millions de personnes, le diabète 4 millions, les maladies respiratoires chroniques 3,7 millions, les cancers 3,3 millions et les maladies psychiatriques 2,5 millions.
Les pathologies chroniques sont un défi majeur pour la qualité de vie de la population et pour la soutenabilité économique de notre modèle de protection sociale.
LA FRANCE COMPTERA 6% D’HABITANTS EN PLUS D’ICI 15 ANS ET S’APPRÊTE À CONNAITRE UN FORT VIEILLISSEMENT DE SA POPULATION
L’INSEE indique que la France comptait 67,422 millions d’habitants au 1er janvier 2021. Selon le scénario central pour les années à venir, la population française atteindra 71,418 millions d’habitants d’ici 2035, dont plus d’un quart aura plus de 65 ans et 14,6% aura plus de 75 ans, contre respectivement 19,7 % et 9,5% aujourd’hui.
S’agissant des personnes âgées en situation de perte d’autonomie, les projections divergent selon les hypothèses (notamment les progrès de la médecine ou l’efficacité des actions de prévention) mais les différentes fourchettes conduisent à retenir une hausse de 200 000 à 400 000 personnes âgées en situation de perte d’autonomie à l’horizon 2030 (soit environ + 20 000 / an) et une progression plus forte encore dans la décennie 2030 – 2040 (jusqu’à + 40 000 / an).
Les conséquences de ces évolutions sur notre système de santé et de solidarités seront immenses et doivent être anticipées.
Un accès aux soins fragilisé, des inégalités importantes
Constat 2
La baisse continue depuis 2010 du nombre de médecins généralistes, couplée à l’augmentation du nombre de passages aux urgences, augmente la pression sur le maillon du premier recours en ville et place l’hôpital public en première ligne face à l’augmentation des besoins.
Le recrutement des soignants de demain : un enjeu d’aujourd’hui pour l’hôpital
Une enquête menée par la FHF auprès de 150 hôpitaux publics à l’été 2021 permet d’estimer à 4,5% le nombre de postes d’infirmiers vacants et 2,5% le nombre de postes d’aides-soignants. Par ailleurs, le taux d’absentéisme parmi les répondants s’élevait à 10% en juin 2021, contre 9,7% en 2020.
D’autre part, 30% des postes de praticiens hospitaliers sont vacants, avec de fortes disparités selon les spécialités.
En ville, une démographie médicale en crise pour les médecins généralistes
Selon les prévisions du CNOM (Atlas de la démographie médicale 2021), le nombre de médecins généralistes régulièrement installés, en baisse depuis de nombreuses années alors que la population augmente, devrait diminuer de -4% entre 2021 (85 364) et 2025 (82 018).
17 départements ou collectivités d’outre-mer ont enregistré une baisse de plus de 20% du nombre de médecins généralistes sur leur territoire entre 2010 et 2021 selon le CNOM. Sont ainsi concernés : l’Aisne, l’Allier, l’Aveyron, le Cher, la Creuse, l’Eure-et-Loir, le Gers, la Haute Marne, l’Indre, le Loir et Cher, le Loiret, la Nièvre, Paris, le Val d’Oise, l’Yonne, les Yvelines et Saint-Pierre et Miquelon.
Cette situation a des répercussions fortes et bien connues, notamment sur l’hôpital public. À titre d’exemple, et à l’exception de 5 départements, les départements français ont tous connu ces dernières années une hausse des passages aux urgences et une baisse du nombre de médecins généralistes, de plus de 10% dans les deux cas pour plus de la moitié d’entre eux.
Des déprogrammations nécessaires mais délétères pour les patients
La déprogrammation massive des actes médicaux (1,4 million en moins en 2020 par rapport à 2019) et des interventions chirurgicales (900 000 en moins) afin de dégager les ressources humaines et matérielles nécessaires pour l’accueil de patients atteints du COVID, notamment dans les services de réanimation, a eu de nombreuses conséquences : reports d’interventions, dégradation possible de l’état de santé, hausse de l’inquiétude des patients et perte de chances potentielle.
À ces 2,4 millions d’hospitalisations en moins en 2020 par rapport à 2019 s’ajoute une diminution de 6% d’activité dans les hôpitaux publics sur le 1er semestre 2021 (contre une augmentation de 2 à 4% dans les établissements privés lucratifs et privés non lucratifs).
Une cause vitale mais un sous-investissement
Constat 3
Le sous-financement dans la recherche et dans la psychiatrie publiques sont symptomatiques d’un sous-investissement dans la santé publique en France. Les hôpitaux publics ont assumé plus de 80% de l’hospitalisation des patients COVID, quand 10 milliards d’euros d’économies ont été imposés aux établissements de santé entre 2005 et 2019.
Un sous-financement chronique des établissements publics de santé
Entre 2005 et 2019, environ 10 milliards d'euros d'économiesont été réalisées par les établissements de santé.
Ce sous-financement a pour conséquence une baisse de l’investissement qui se situait, en 2019, à 3,85 milliards d’euros (33% de baisse par rapport à 2013), ce qui représente le niveau le plus bas depuis 20 ans.
Pour la psychiatrie, les ressources de la dotation annuelle de financement du service public ont progressé de 80% moins vite que l’ONDAM hospitalier sur les dernières années. D’autre part, les ressources de la psychiatrie de service public ont progressé en moyenne 3 fois moins vite que celles du secteur privé lucratif.
Alors que les hôpitaux publics ont accueilli plus de 80% des patients COVID hospitalisés durant la crise sanitaire qui se poursuit, force est de constater que les économies les plus importantes sur la dernière décennie ont été demandées aux acteurs publics, en première ligne face aux enjeux de démographie médicale, de permanence des soins et de prise en charge de l’ensemble des patients qui font partie des nombreuses missions de service public que l’hôpital s’honore à remplir.
Sous-financement et dispersion des crédits de la recherche
Les crédits dédiés à la recherche au sein de l’ONDAM hospitalier, c’est-à-dire au financement des « Missions d’Enseignement de Recherche et d’Innovation » (MERRI) au sein de l’ONDAM hospitalier représentent 3,4 Milliards d’euros.
Une fois les effets dits de « périmètre » neutralisés, l’évolution de cette enveloppe recherche (« MERRI ») est en moyenne de 0.38% par entre 2014 et 2020, soit très en-deçà du rythme d’évolution des ressources de l’Assurance maladie. Un tel rythme d’évolution marque un sous-financement de la recherche.
Au-delà, on observe une dispersion des crédits de la recherche dont on peut interroger la pertinence. Ainsi, l’enveloppe de dotation socle « recherche, innovation, enseignement », qui représente près de la moitié des crédits recherche MERRI, évolue entre 2014 et 2021 de + 8 % alors que le nombre d’établissements éligibles a augmenté dans le même temps de 69 % notamment du fait de l’arrivée d’un nombre important de GCS. Hors mesures de revalorisation du Ségur, cette évolution est seulement de + 1.2 %.
Alors qu’entre 2014 et 2019, cette dotation avait baissé de 2 %, l’effort consenti depuis 2020 permet un léger rattrapage mais le taux reste bien inférieur à celui de l’ONDAM hospitalier sur la même période.
La pertinence des actes : du non-recours à la surconsommation
L’Assurance maladie estime à 25 à 30% le nombre d’examens ou actes non pertinents ou de non qualité. L’examen des différences de consommation par territoire pour une même typologie d’acte conduit à s’interroger sur des écarts pouvant aller de 1 à plus de 3 entre départements parfois limitrophes. Taux de non-recours, surconsommation, variations de pratiques : la question de l’adéquation de la dispensation d’actes médicaux avec les besoins du patient mérite une réflexion d’ensemble.
Réduire l’impact environnemental : des établissements volontaires mais une absence de moyens
Chaque année, les établissements sanitaires et médicosociaux produisent plus de 700 000 tonnes de déchets (ANAP), préparent 1,5 milliard de repas (ADEME) et représentent 12% de la consommation énergétique du secteur tertiaire (ADEME). Une estimation récente chiffre à 50 millions de tonnes équivalents CO2 (8% du total), les émissions de gaz à effet de serre du secteur de la santé dans son ensemble (The Shift Project). Les établissements de santé et médicosociaux ont pour mission de prolonger la vie humaine et doivent participer à la sauvegarde d’un environnement qui ne cesse de se dégrader, mais en ont-ils les moyens ?
La Santé face aux nouveaux risques
En 2021, plusieurs établissements publics de santé ont été la cible de cyberattaques, comme cela fut le cas à Dax (Landes) ou Villefranche-sur-Saône (Rhône). L’hôpital, qui joue dans cette crise son rôle de « bouclier sanitaire », a lui aussi besoin d’être protégé à la hauteur des menaces qui pèsent sur sa sécurité et celles des données de millions de patients. Ce nouveau risque demande à la fois une stratégie commune pour les hôpitaux et des moyens adaptés pour y répondre.
A l’image de la COVID-19, l’émergence de nouvelles pandémies est un risque réel, aggravé par le réchauffement climatique et l’intensification des échanges. La France se doit d’anticiper ce risque en investissant dans une cause vitale, la Santé publique.
Une concentration de contrainte sur les hospitaliers
Constat 4
Le système de santé français, à l’image de la plupart des systèmes de santé occidentaux, fait face à une demande de soins en constante augmentation, notamment sous l’effet du vieillissement de la population, mais aussi des progrès continus des connaissances et techniques médicales.
Dans un secteur qui, malgré les innovations technologiques et le rôle majeur tenu par les évolutions du numérique, repose encore et toujours sur la compétence humaine, il s’en suit que le besoin de professionnels de santé a lui aussi cru de façon continue. En France, selon la DREES, le nombre de professionnels hospitaliers, tous secteurs confondus, a connu une hausse de 13% entre 2003 et 2018. Parallèlement les tensions sur le recrutement s’étendent au point de devenir endémiques et de limiter l’offre de soins.
En effet, les professionnels de santé, à l’image des évolutions du marché du travail général, sont de plus de plus attentifs à l’équilibre vie privée – vie professionnelle, aux conditions de travail et à la reconnaissance individuelle. Ils évoluent en outre dans un marché du travail particulièrement encadré en termes de critères de recrutement, normes qui garantissent leurs compétences mais limitent les viviers de recrutements potentiels.
La notion même de « système » de santé implique une approche globale et une régulation pour être efficace, voire simplement pour fonctionner.
Or, force est de constater qu’aujourd’hui, le seul secteur véritablement régulé et soumis aux sujétions collectives impliquées par un système de santé est le secteur public.
CONTINUITÉ DES SOINS
- Les situations sanitaires exceptionnelles - la pandémie COVID-19 nous le rappelle avec acuité - sont d’abord prises en charge et gérées par les établissements publics de santé ;
- Les établissements sièges de SAMU sont, par nature, exclusivement présents dans les établissements publics de santé et 452 des 459 services SMUR sont situés en établissement public ;
- En 2017, 474 des 637 structures d’accueil des urgences relevaient d’établissements publics, qui ont reçus plus de 80% des passages (15 196 477 des 18 982 299 passages enregistrés) :
- notamment 84% des passages pédiatriques (2 743 542 des 3 281 533 passages enregistrés)
- et plus de 85% des passages des personnes de plus de 80 ans (1 669 133 des 1 955 752 passages enregistrés) ; - En 2017, 4 280 des 5 087 des lits de réanimation adultes et 320 des 345 lits de réanimation pédiatriques (hors néonatalogie), soit une moyenne de 85% des lits de réanimation ;
- En 2017, la totalité des 165 lits de réanimation pour les grands brûlés étaient situés dans des établissements publics de santé;
EXCELLENCE DES SOINS ET PRISE EN CHARGE DES PATIENTS LES PLUS LOURDS
- Les trois quarts des séjours sévères (niveaux de sévérité 2, 3, 4) sont pris en charge par les établissements publics ;
- Les trois-quarts des séjours de patients de moins de 5 ans et les deux-tiers des hospitalisations des personnes âgées de 80 ans et plus se font dans les établissements publics.
ACCUEIL DE TOUS LES PUBLICS
- 965 441 des 1 231 903 courts séjours de patients bénéficiant de la CMU, CMUC ou AME ;
- 437 des 473 des services de permanence d’accès aux soins de santé - PASS (182 040 des 195 647 patients de la file active) sont installés dans des établissements publics ;
- 1 598 des 2 228 lits d’hospitalisation de psychiatrie infanto-juvénile sont situés dans le secteur public ;
- 164 des 166 unité sanitaire en milieu pénitentiaire (USMP) et la totalité des lits de psychiatrie en milieu pénitentiaire sont assurés par le service public hospitalier
En conséquence, les 1,2 millions de professionnels des secteurs publics hospitaliers et médicaux sociaux sont particulièrement exposés aux contraintes et sujétions liées à la triple mission qui fait la noblesse du service public hospitalier : l’accueil de tous les patients, à toute heure, en tous points du territoire, quelle que soit la gravité de leur pathologie.
-> Un taux de féminisation élevé : 77,6% de femmes parmi les professionnels de la fonction publique hospitalière (médicaux et non-médicaux)
-> Le versant le plus jeune de la fonction publique : l’âge moyen est de 41,8 ans (contre 43,8 ans pour l’ensemble de la fonction publique). Seuls 33% des professionnels de la FPH ont plus de 50 ans (contre 35% dans la FPE et 43% dans la FPT)
-> Des métiers sujets à pénibilité : en 2016, 49% des fonctionnaires hospitaliers occupaient un emploi relevant de la catégorie active. Dans la filière soignante, 13 000 sages-femmes, 170 000 aides-soignants et 65 000 agents des services hospitaliers appartiennent ainsi à la catégorie active ainsi que les 70 000 infirmières ayant fait le choix de demeurer en catégorie B.
- Relèvent de la catégorie active dans la FPH les agents ayant travaillé au moins 17 ans au sein des corps fixés par arrêté. L’âge d’ouverture des droits à la retraite de ces agents est de 5 ans inférieur à celui de la population générale, soit actuellement 57 ans. Historiquement, de nombreux métiers paramédicaux relevaient de la catégorie active mais beaucoup ont été reclassés (infirmier, IBODE, IADE, masseurs kinésithérapeutes…) vers la catégorie A et ont perdu le bénéfice de la catégorie active.
-> Des professionnels aux horaires de travail atypiques : seuls 25% des professionnels ont une semaine de travail standard (du lundi au vendredi avec des horaires de travail entre 7h et 20h) .
-> Une part importante de professionnels à faible niveau de revenu : 48,2% d’agents occupent des emplois appartenant à la catégorie C, tandis que le revenu mensuel net médian dans la fonction publique hospitalière est de 1892€
-> Une part importante de professionnels à temps partiel : 23% des agents publics hospitaliers sont à temps partiel.